People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 10/03/2020

Rencontre avec Anne Fontaine

La cinéaste Anne Fontaine nous a accordé un peu de son temps pour nous en dire davantage sur son nouveau long métrage : Police. Un thriller dramatique avec Omar Sy et Virginie Efira.

Comment l’idée de ce film vous est-elle venue à l’esprit ?
Tout est parti d’un roman, écrit par Hugo Boris et paru en août 2016, que le producteur Jean-Louis Livi m’a donné à lire. Un roman qui s’inspirait d’un vrai fait divers. Tout de suite, j’ai été profondément touchée par l’aspect humain de cette histoire, avec ces interrogations presque métaphysiques. Ce récit montre une sorte de trajet initiatique. J’ai vraiment été happée par la trajectoire de ces policiers lambda qui se retrouvent à devoir mener une mission pour laquelle ils n’ont pas été formés et qui les confronte à leur propre vérité. Très vite, mon intuition m’a dit qu’il y avait là un énorme potentiel.

S’agit-il d’une adaptation fidèle au roman ?
Pas vraiment. J’ai assez longuement parlé avec le romancier, mais il n’a pas participé du tout à l’adaptation car c’est toujours quelque chose de difficile pour un écrivain. Il a toutefois lu le scénario avant le début du tournage. Et, lorsqu’il a vu le film, il l’a préféré que son roman. Il aurait aimé écrire la même fin m’a t-il confié. Au final, j’ai donc fait une adaptation assez libre en dévoilant notamment les points de vue de chacun des policiers sur la même journée. En montrant les choses à travers leurs différents regards, je voulais donner à voir le cheminement intérieur des différents protagonistes, partager leurs questionnements. De quoi permettre de créer une proximité plus grande avec eux. On découvre ainsi plus de choses sur chacun et cela évite de tomber dans l’écueil trop naturaliste d’un commissariat, comme on le voit souvent. Puis, j’avais ce désir que, comme le lecteur en lisant le roman, le spectateur se pose lui-même des questions sur ce qu’il ferait dans pareille situation. Désobéirait-il ? Transgresserait-il les règles ? Toute la fin est également très différente du roman. Par ailleurs, j’ai tenté d’apporter un peu de romanesque, de poésie dans ce thriller émotionnel intense qui raconte une situation pour le moins difficile et complexe. Je voulais un peu de beauté.

Comment vous êtes-vous documentée pour donner vie à ce long métrage ?
J’ai fréquenté durant des heures deux commissariats pour observer cet univers. Voir comment étaient les policiers dans leur vie quotidienne. J’ai aussi rencontré des gens de la police des frontières. C’était important pour moi de bien comprendre les choses et d’en rendre compte de la façon la plus authentique possible. D’ailleurs, des policiers qui ont pu voir le film m’ont remercié pour la justesse, la véracité, avec laquelle je montre leur métier. Les comédiens ont aussi passé du temps dans des commissariats et ont eu droit à un entraînement individuel. Grégory Gadebois a, par exemple, appris à manier une arme. Moi-même j’ai appris à tirer en compagnie d’un commissaire. C’était important pour que les gestes soient vraiment crédibles. Enfin, je me suis rendue dans un centre de rétention à Vincennes et j’y ai rencontré un réfugié sur le point d’être expulsé, comme celui du film. Je me suis retrouvée durant deux heures face à lui, à discuter. Il m’a raconté sa vie, sa femme, son enfant qui venait de naitre, etc. Difficile de savoir s’il disait vrai ou non, mais il s’agissait clairement de quelqu’un qui allait droit vers la pire misère et je ne pouvais rien faire pour changer cette situation. Ça a été une expérience terrible. On ne peut qu’être sensible au sort d’un homme raccompagné dans un pays totalitaire. 

Quelle était votre volonté à travers ce film ?
Je voulais montrer l’humain derrière l’uniforme. Bien souvent on montre une vision caricaturale des professions à uniforme. Il n’était pas question de faire l’apologie de la police, je voulais simplement que l’on regarde autrement les hommes et les femmes qui la composent. Je les dévoile différemment que simplement à obéir aux ordres. Je les montre dans toute leur complexité ou leur simplicité, au-delà des a priori. Je voulais aussi faire réfléchir à la notion d’étranger philosophiquement, sociologiquement, politiquement parlant.

Comment s’est fait le choix des comédiens ?
J’ai pensé à Virginie Efira en premier car j’avais déjà travaillé avec elle et je trouve qu’elle incarne vraiment la girl next door. C’est une actrice pleine, dotée d’une grande finesse. J’ai donc pensé qu’elle pouvait vraiment incarner cette policière en prise à un profond cas de conscience. J’avais aussi déjà travaillé avec Grégory Gadebois qui est un acteur tout simplement magnifique et talentueux. J’avais donc envie de collaborer de nouveau avec lui. Quant à Omar Sy, je l’ai rencontré dans la vie, par hasard, et nous avons discuté de choses et d’autres naturellement et très librement. Le fait que j’ai vécu un temps au Portugal l’a beaucoup intéressé notamment. Peu à peu, j’ai vu en lui le personnage apparaître et s’imposer, avec la profondeur, la sensibilité et la douceur qui le caractérise. En plus, Omar Sy est sexy et solaire, et j’ai pensé qu’il ferait un couple très attractif avec Virginie Efira. Enfin, j’avais repéré Payman Maadi, qui incarne le réfugié, dans Une séparation et A propos d’Elly de Asghar Farhadi. J’aime beaucoup son côté « Monsieur Tout le monde » et l’intensité qu’il dégage dans le même temps. En acceptant ce rôle ingrat, très difficile, sans parole ou presque, il a fait preuve d’une humilité énorme car ce comédien est une vraie star en Iran, son pays. Juste par ses expressions, il réussi à faire passer des émotions incroyables, pleines de subtilités. C’est un très grand acteur.

Quelles sont vos sources d’inspiration pour ce film ?
Pour le style visuel du film notamment, je me suis inspiré d’Ingmar Bergman, de John Ford et Claude Sautet. Les films de Melville eux m’ont servi pour leur intemporalité. J’ai aussi regardé des films de prison pour leur côté étriqué qui m’intéressait pour l’aspect huis-clos que je voulais conférer à Police. En revanche, je n’ai regardé aucun film policier car ce n’était pas le propos. Moi, je voulais avant tout raconter ce qu’il y a derrière les visages, le mystère. 

Quel est votre prochain projet ?
Mon prochain film s’appellera Boléro et traitera du célèbre morceau de musique de Maurice Ravel. Ce sera une histoire originale. J’adore rencontrer et raconter des mondes différents.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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