People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 11/06/2019

Rencontre avec Céline Sciamma

A l’heure de l’apéritif, la cinéaste Céline Sciamma nous a livré, en toute simplicité, quelques infos sur les dessous de son nouveau long métrage : Portrait de la jeune fille en feu. Un film d’époque contant la passion amoureuse entre deux femmes, récompensé par le Prix du scénario et la Queer Palm lors du dernier Festival de Cannes.

Quel est le point de départ de ce nouveau long métrage ? 
Je voulais tout simplement réaliser un film d’amour. Un film sur l’amour et la création. Sur le dialogue amoureux et le dialogue entre amour et art. Dans ce contexte, je voulais aussi faire un long métrage qui parle davantage des possibilités que de l’oppression.

Comment vous y êtes vous prise pour le côté artistique de ce film ?
J’ai revisité l’histoire de l’art à l’aune des créatrices et c’est comme cela que j’ai posé mon dévolu sur le XVIIIe siècle qui était une période propice à l’art pour les femmes. J’ai ainsi travaillé avec une sociologue de l’art spécialiste de cette époque. Au final, le personnage de Marianne est fictif mais il aurait pu exister tant il est inspiré de plusieurs femmes artistes ayant vécu à cette période. Il était important pour moi de respecter la réalité historique. 

Outre l’omniprésence des deux personnages principaux, diriez-vous que ce film est féministe ?
Oui certainement. J’ai d’ailleurs voulu apporter mon regard de femme sur certains sujets. Par exemple, il existe très peu de scène d’avortement au cinéma. Donc nous avons voulu combler un vide et inventer une image qui marque avec ce passage chez la faiseuse d’anges. Je voulais aussi montrer par là que ce n’est pas parce que l’on avorte que l’on n’aime pas les enfants. J’avais une tristesse intime que de telles scènes ne soient jamais montrées. De même l’évocation des règles est rare au cinéma. Pourquoi ces sujets sont ils aussi absents ? Parce que ce sont toujours les mêmes qui racontent les histoires. C’était néanmoins le cas jusqu’ici.

A quel moment le choix des actrices s’est-il fait et comment Adèle Haenel et Noémie Merlant se sont imposés à vous ?
J’ai écrit le film pour Adèle Haenel. Il est pensé pour elle. Par rapport à ce que je sais d’elle. J’ai voulu travailler sur sa voix, son corps. A travers elle, je voulais apporter une nouvelle incarnation de la féminité dans le cinéma français. Quant à Noémie Merlant, j’ai mené un casting obsessionnel. J’ai vu des Françaises, des étrangères, des femmes d’âges différents. Je voulais du contraste physiquement entre les deux comédiennes principales. Par ailleurs, je voulais une actrice qui ne soit pas encore trop identifiée afin que le spectateur y croit le plus possible. Mais aussi, de mon côté, pour le plaisir de la rencontre, de découvrir quelqu’un, comme les deux personnages se découvrent dans le film. Au final, Noémie est arrivé assez vite dans l’aventure. Lorsque je l’ai rencontrée pour la première fois, elle s’est imposée. Aussitôt, elle a donné de la consistance à ce projet alors encore très souterrain. Face à Adèle, qui envoie du lourd, il fallait quelqu’un qui tienne la cadence, qui marque sa présence. En plus de la différence physique, Noémie avait cette intensité qui me plaisait.

Que voulez-vous dire quand vous déclarer qu’Adèle Haenel envoie du lourd ?
Adèle Haenel est une actrice autrice. C’est à dire une interprète qui s’implique extrêmement dans un film, qui pense avec vous le projet dans sa globalité. Il y a une intensité intellectuelle, une intelligence formidable chez elle. A mes yeux, c’est un génie. Ce sont les actrices qui ont fait mon chemin de cinéphile. Avec son magnifique parcours, constitué de choix variés et contemporains, Adèle va jouer ce rôle pour beaucoup de gens j’en suis certaine. 

Après Bande de filles, où vous avez tourné avec des acteurs amateurs, vous avez de nouveau fait appel à des comédiens professionnels. Pourquoi ?
Quand on travaille avec des non professionnels, c’est beaucoup de solitude car vous êtes en responsabilité totale. Là, j’avais besoin de me sentir plus entourée. J’ai eu la chance de pouvoir compter sur deux comédiennes en pleine possession de leur moyen. C’est plus confortable.

Revenir à la réalité après ce premier film d’époque a t-il été difficile ?
Ça n’a pas été évident effectivement. D’autant que j’ai vraiment beaucoup aimé faire ce film. J’ai aimé vivre dedans. C’est un projet important dans ma vie. Après c’est le jeu, les films nous accompagnent du moment où on les rêve jusqu’au moment où on les livre au public. Puis, il faut savoir sortir de la pièce pour que les gens puissent y rentrer. 

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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