People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 02/03/2017

Rencontre avec Dominique Abel et Fiona Gordon

Nouvelle incursion au cinéma pour le duo d’artistes Fiona Gordon et Dominique Abel, qui propose avec Paris pieds nus une loufoque et colorée pérégrination dans la ville lumière.

Comment ce film a t-il germé dans vos esprits ?
Dominique Abel : Comme d’habitude, l’envie de faire un film commence avec des idées. Plusieurs idées. Beaucoup parfois même. Sur celui-ci, on voulait quelque chose basé sur le clown et nos racines. L’autre point était notre volonté d’évoquer notre rencontre, Fiona et moi, à Paris dans les années 80.
Fiona Gordon : Je suis arrivée du Canada à Paris à 22 ans avec une grosse valise. Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. J’avais une petite chambre de bonne réservée mais lorsque j’ai rencontré la propriétaire et qu’elle a su que l’école que je faisais n’était pas reconnue par l’Etat, elle s’est ravisée. J’ai donc du me débrouiller autrement, un peu perdue dans cette grande ville que je ne connaissais pas. Durant cette période, j’ai également rencontré un SDF un peu philosophe qui nous a inspiré. En fait, ce film est fait de plein d’incidents qui nous sont arrivés dans notre parcours et de rencontres.
Dominique Abel : On a aussi voulu des personnages plus dessinés, faits de contrastes. Nous souhaitions parler de la vraie vie, de sujets qui nous touchent comme la vieillesse, la pauvreté, mais pas de façon naturaliste. Avec notre côté clownesque. On aime parler du monde réel, mais à notre façon, avec une certaine distance. A la manière d’une fable, d’un conte.
Fiona Gordon : On voulait vraiment faire quelque chose de burlesque.

Comment avez-vous pensé à Emmanuelle Riva pour incarner Martha ?
Fiona Gordon : Nous aimons jouer avec des comédiens amateurs en général car ils ne sont pas dans le contrôle. Ils ont ce côté maladroit que nous trouvons plaisant. Mais, nous avons pensé à Emmanuelle Riva car nous n’avons finalement trouvé personne qui nous convenait pouvant jouer le rôle de Martha. Avec son côté espiègle, voire un peu punk, avec ses cheveux hirsutes, elle était l’actrice idéale pour ce personnage.
Dominique Gordon : Ce qui est génial, c’est que pour elle, cela ne posait aucun problème de faire un film sans maquilleuse, sans caravanes… Elle comprenait parfaitement la poésie de la chose.
Fiona Gordon : On a donc écrit le rôle de Martha en fonction de la personnalité d’Emmanuelle Riva. Là aussi, on a essayé de s’ancrer dans le réel, de partir de cette base.

Et Pierre Richard ?
Dominique Abel : Pierre Richard, c’est également le hasard dans un sens. Nous avions en tête Pierre Etaix comme modèle. Et en fait, nous avons croisé Pierre Richard un jour et nous lui avons parlé de notre projet. Il était plutôt partant même s’il nous a dit qu’il était fatigué. Puis, juste au début du tournage, il a refusé car il se sentait trop épuisé. On s’est alors demandé comment faire jusqu’à ce qu’il revienne vers nous. Il s’agit d’un comédien très drôle, d’un excellent danseur, de quelqu’un de très sympa. C’est un vrai clown.

La ville de Paris est également un personnage à part entière. Etait-ce une volonté dès le départ ?
Fiona Gordon : Pour notre histoire, c’était important qu’il y ait une énorme ville dans laquelle nos personnages cabossés puissent se perdre. Ca aurait pu tout aussi bien être New York ou Londres, mais puisque l’on s’est rencontré à Paris, cela nous a paru évident.
Dominique Abel : On cherchait du contraste. Cette grande ville tranchait parfaitement avec le grand nord canadien plutôt isolé. Paris est à la fois ville lumière et ville d’ombre. De plus, on aime mettre en avant des beautés non conventionnelles. On aime les gens trop petits dans un monde trop grand. Les gens trop lents dans un environnement trop rapide… On a retrouvé cela dans Paris.

Quel cinéma appréciez-vous particulièrement ?
Fiona Gordon : On aime le cinéma qui propose quelque chose d’autre, de différent. Ce qui nous plait, ce sont les choses irrévérencieuses, pas polissées. On aime pas mal de cinéastes pas forcément très connus mais on apprécie aussi les frères Coen et un peu Tim Burton, même si ce qu’il fait est plus hollywoodien.
Dominique Abel : Pour Paris pieds nus, on a fait appel à des gens que l’on admire comme Charlie Chaplin ou Buster Keaton. On adore également Laurel et Hardy.

L’univers de ce film ressemble assez à celui de Wes Anderson. Etait-ce volontaire ?
Fiona Gordon : En fait non car, c’est assez drôle, mais on ne le connaissait pas. Ce sont nos producteurs qui ont trouvé qu’il y avait une similitude assez frappante et qui nous ont fait découvrir ce cinéaste. Mais ce n’était donc pas voulu.

Comment vous est venue l’idée de ce titre ?
Dominique Abel : Nous avions d’abord pensé à Lost in Paris. Mais il y avait déjà une expo qui s’appelait comme ça. Puis nous avons cherché un truc en français plutôt. Nous avions envie de quelque chose qui sonne sensuel, qui fasse référence à la liberté, mais aussi, d’une certaine façon, au courage… Ce n’est pas forcément très clair mais ce titre évoque beaucoup de choses pour nous qui collent bien avec le film.

Ce genre de cinéma atypique est-il difficile à vendre ?
Fiona Gordon : Bien sûr que c’est compliqué à financer. Et ce partout dans le monde. Les gens ne comprennent pas forcément où l’on veut en venir. En plus, nos scénarios ne sont pas très écrits.
Dominique Abel : C’est vrai que c’est difficile d’expliquer un scénario pareil. D’autant que les nôtres peuvent sembler nuls de prime abord car il y a peu de paroles, ce n’est pas très écrit. On laisse surtout la place à un comique de situation, aux corps… Il y a même pas mal de trous par ci, par là…
Fiona Gordon : Pour autant, nous pensons qu’il y a encore de la place pour une transposition sensuelle et drôle de la vie au cinéma.

Qu’est ce que le cinéma vous apporte de plus que la scène ?
Fiona Gordon : La scène, c’est comme un sport car on est devant les gens et c’est maintenant ou jamais. C’est une performance, un jeu avec le public, durant laquelle on peut être bons ou mauvais. C’est sans filet. Le cinéma permet d’avoir plus de recul, de pouvoir réécrire, peaufiner. Après 20 ans de scènes, cela nous convient davantage aujourd’hui. Mais nous n’avons pas forcément tiré un trait définitif sur le spectacle.
Dominique Gordon : Sur scène, nous n’avons pas accès au réel et l’imaginaire du spectateur est plus mis à contribution. Au cinéma, c’est différent, une scène se passe dans un bar ou dans un parc, on tourne dans un bar ou dans un parc. Mais, dans nos films nous essayons tout de même de conserver autant que possible le côté imaginaire afin de garder ce même rapport avec le spectateur.

Avez vous déjà de nouveaux projets en tête ?
Dominique Abel : On a deux, trois idées de film en tête mais sans avoir vraiment approfondi la chose encore. On veut trouver un truc qui nous plaise forcément donc là on est un peu au milieu du guet.
Fiona Gordon : On pense notamment à un polar.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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Sortie : 08/03/2017

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