People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 04/06/2019

Rencontre avec Laure de Clermont-Tonnerre

Connue jusque là comme comédienne, Laure de Clermont-Tonnerre passe derrière la caméra et signe un premier long métrage maîtrisé (Nevada), mettant en image le face à face entre un détenu et un cheval qui apprennent à s’apprivoiser l’un l’autre. Entretien avec la jeune néo-cinéaste.

Comment avez-vous eu vent de ce programme de réhabilitation pour les détenus, consistant à dresser des mustangs, et avez-vous eu envie d’en faire un film ?
Tout a commencé il y a 5 ans à Paris. J’ai lu un article sur la thérapie animale en prison. Il était question de la maison d’arrêt de Strasbourg où les détenus étaient mis en contact avec des chiens et des cochons d’Inde afin de leur apporter de l’affection et de la sérénité. De l’humanité. De suite, j’ai trouvé le sujet intrigant. Je trouvais qu’il y avait de la poésie dans cette démarche. Le tout au beau milieu d’un univers plutôt dominé par la violence. Du coup, je me suis rendue à Strasbourg pour rencontrer Patricia Arnoux, la femme à l’origine de cette initiative et en apprendre davantage. Cela m’a tellement marqué qu’une fois de retour à New-York, où j’habitais alors, j’ai décidé d’en faire un court métrage intitulé Rabbit. Loin d’être rassasié, j’ai voulu continuer à creuser cette thématique de la médiation animale et c’est alors que j’ai découvert le programme de réhabilitation par le dressage de chevaux dans une prison du Nevada. En me penchant dessus, j’ai rapidement senti le potentiel pour en faire un long métrage.

Etait-ce une obligation pour vous de réaliser ce film aux Etats-Unis ?
Ce programme de réhabilitation par les chevaux n’existe qu’aux Etats-Unis. Il a été créée dans la prison du Nevada que l’on voit dans le film. Pour moi, il était essentiel de tourner dans ce lieu. J’avais besoin d’un maximum d’authenticité. D’ailleurs, d’anciens prisonniers qui ont pu bénéficier de cette méthode jouent dans Nevada. J’ai également effectué énormément de recherches, récolté de nombreux témoignages. Je me suis imprégnée de l’univers carcéral en me rendant dans différentes prisons durant des années. Ca a été un travail de longue haleine. 

Pour un premier long métrage derrière la caméra, vous n’avez pas choisi la facilité avec une prison toujours en fonction pour décor et des chevaux parmi les principaux protagonistes...
C’est vrai qu’il faut être un peu fou et inconscient pour se lancer dans une telle aventure. Mais j’étais tellement passionnée par le sujet que coûte que coûte, je voulais aller jusqu’au bout. Finalement, nous sommes parvenus à avoir les autorisations assez facilement pour tourner dans la prison. Même si nous avons eu quelques frayeurs que tout tombe à l’eau à certains moments. Quant au chevaux, cela a demandé beaucoup de discipline de la part de tout le monde et des acteurs en particulier. Il fallait se montrer agile. Avec un animal, rien ne se passe jamais comme prévu. Et un cheval ne peut travailler que 4 heures par jour ,donc ce n’était pas évident. Heureusement nous avons pu compter sur un entraîneur extraordinaire. 

Pourquoi avez-vous confier le rôle titre à Matthias Schoenaerts ?
Je connaissais le travail de Matthias Schoenaerts et j’aimais beaucoup. Il y a du mystère, de l’opacité, des émotions brutes, une physicalité surprenante chez lui. Ce n’est pas quelqu’un de facile à canaliser. Il me fait penser à un animal. Cela m’intéressait donc de le voir se confronter à un cheval, qui plus est sauvage. Et pour la petite histoire, bien avant que ce film se fasse, lorsque j’ai commencé à m’intéresser au sujet des prisons, le hasard m’a amené à rencontrer sa mère qui intervenait souvent dans le milieu carcéral en Belgique. Nous avions alors discuté. Je lui avais parlé de mes envies, de mes projets, etc. Puis, celle-ci est malheureusement morte des suites d’une longue maladie. Mais, lorsque j’ai contacté Matthias pour lui proposer ce rôle, il m’a indiqué qu’avant de décéder, sa mère lui avait parlé de mon idée. En plus d’avoir été séduit par le scénario, cela lui a donc d’autant plus donné envie de participer. Etonnamment, pour cette raison, notre rencontre s’est presque apparentée à des retrouvailles...

Comment Robert Redford est devenu l’un des producteurs exécutifs de votre film ?
Robert Redford, qui est toujours prompt à proposer des alternatives aux grands studios hollywoodiens et à donner la possibilité à d’autres voix de se faire entendre, à créé le laboratoire d’écriture de Sundance. Lequel permet à des scénaristes de se faire financer leur projet s’ils sont sélectionnés. Comme j’appartiens intrinsèquement au cinéma indépendant, j’étais désireuse de faire partie de cette famille créative. J’ai donc postulé et eu la chance d’être retenue. Or, il s’avère que Robert Redford lit chaque synopsis et, a priori, le mien lui a particulièrement plu. Il faut dire que lui même à acheter des chevaux en prison dans le but de les protéger. C’est donc un sujet proche de son coeur que j’évoquais et je sentais qu’il avait envie de s’impliquer dans l’aventure à la manière d’un parrain.

Quelle étape du processus créatif vous a le plus plu ?
Tout le travail de recherches et l’écriture m’ont particulièrement plu. Cela a été laborieux mais tellement intense que j’en retiens que du positif. Le montage aussi m’a beaucoup intéressé. J’avais l’impression d’être dans une sorte de cocon car j’ai fait ça avec ma monteuse qui est devenue ma meilleure amie depuis quelques années. Malgré la dureté de l’étape, ça a été un moment fort. Nous avons voulu faire un montage de plus en plus dynamique donnant le sentiment d’un film allant au pas, au trot, puis au galop. Quant au tournage, il n’a duré que 23 jours donc il n’était plus temps de réfléchir. Il fallait agir.

Pourriez-vous réaliser un film sans arrière fond social, politique ?
Je ne crois pas. Aujourd’hui, j’ai besoin d’avoir le sentiment qu’un film peut apporter quelque chose, éclairer les consciences, créer des débats, faire bouger des institutions. J’adore enquêter, rencontrer des gens, faire des recherches. J’aurais beaucoup aimé être journaliste en fait.

Quelles sont vos références cinématographiques ?
J’adore Sergio Leone et Win Wenders, notamment pour leur façon de poser un œil européen sur des problématiques, des sujets très américains. J’aime beaucoup la juxtaposition culturelle. Les frères Coen m’ont aussi pas mal inspiré sur ce film-là. Notamment No Country for Old Men.

Vous voyez-vous toujours comme une actrice aujourd’hui ou bien avez-vous totalement adopté la casquette de réalisatrice ?
Je n’ai plus vraiment envie de jouer désormais. Je crois que j’ai trouvé chaussure à mon pied avec ce métier. Etre actrice a été une étape qui m’a permis d’arriver à la réalisation. Après, si un magnifique projet se présentait à moi comme comédienne, j’y réfléchirais évidemment.

Avez-vous déjà un nouveau projet en tête ?
Je travaille actuellement sur mon prochain film, avec toujours le thème de l’enfermement. Il s’agit de l’adaptation libre d’une pièce de théâtre qui met en scène une mère qui refuse absolument que ses 3 filles quitte la maison et qui les en empêche par tous les moyens. Ce n’est pas loin de Festen, avec de l’humour noir, du cynisme, de l’ironie. 

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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