People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 11/02/2020

Rencontre avec Melissa Guers et Stéphane Demoustier

C’est accompagné de la jeune néo-comédienne Melissa Guers que le réalisateur Stéphane Demoustier est venu nous éclairer davantage sur le pourquoi du comment de son nouveau film : La Fille au bracelet.

Comment l’idée de ce film est-elle née ?
Stéphane Demoustier : La Fille au bracelet est un film inspiré d’un long métrage argentin sorti en juillet 2019 en France et lui-même inspiré d’un vrai fait divers local. C’est le producteur Jean Des Forêts qui m’a fait découvrir le scénario et qui m’a donné envie de traiter de cette intrigue. Je n’ai pas vu le film et au moment de me mettre au travail, j’ai souhaité faire abstraction du fait divers et du scénario initial car je voulais vraiment m’approprier l’histoire. J’avais envie d’en parler sous un nouvel angle, en m’intéressant non pas à l’accusée, mais davantage aux personnes qui l’entourent. 

Votre film montre le déroulé d’un procès d’assise. Vous êtes-vous beaucoup renseigné au préalable ?
Stéphane Demoustier : J’ai assisté à de nombreux procès d’assises au tribunal de Bobigny pour trouver des idées, m’imprégner du jargon, etc. Un réalisateur est un voleur, donc s’il y a des choses à prendre, il prend. Même si je ne voulais pas tomber dans une vérité documentaire, il était essentiel de coller au maximum à la réalité. J’ai d’ailleurs fait relire le scénario final par des juges et des avocats. De la même façon, j’ai discuté avec les jeunes baby-sitters de mes enfants pour mieux comprendre l’adolescence. Je ne voulais pas forcer le trait. Il m’importait d’être dans le vrai.
Melissa Guers : Je suis aussi allée voir des audiences pour mieux comprendre ce à quoi était confronté ces gens.

Par ailleurs, vous avez tourné dans un vrai tribunal, celui de Nantes. Pourquoi ce choix ?
Stéphane Demoustier : J’avais vu des photos de ce tribunal réalisé par Jean Nouvel et j’avais très envie d’y tourner. Je voulais justement un édifice comme celui-ci : contemporain, moderne. Puis, je désirais une ville de province, qui soit suffisamment grande pour que le principe de l’anonymat existe, mais suffisamment petite pour qu’une affaire comme celle racontée ait un certain retentissement. Au final, le tribunal de Nantes a bien voulu nous accueillir et ça a été un énorme plus pour la crédibilité, l’authenticité du film. Le fait de tourner dans un vrai tribunal crée quelque chose. Cela agit nécessairement sur l’expérience, en particulier pour les acteurs. Dans l’enceinte d’un tel lieu, on s’insère automatiquement plus facilement dans la peau de son personnage que dans un décor. Il y a une atmosphère qui favorise l’immersion.
Melissa Guers : On était effectivement tout de suite plongé dans l’ambiance. Comédiens comme figurants, nous étions pris par le lieu et ce qu’il incarne. Sa dimension solennelle nous a permis de rentrer davantage dans l’histoire et nos rôles. 

Pour autant, est-ce que cela a été facile d’obtenir les autorisations pour tourner dans l’enceinte ?
Stéphane Demoustier : Le ministère de la justice nous a autorisé à tourner au sein du tribunal à condition que nous ne donnions pas une image dégradante ou fallacieuse de la justice, que nous soyons crédible, juste et précis à l’intérieur de l’enceinte.

La Fille au bracelet est loin de n’être qu’un film de procès. Qu’avez-vous voulu aborder à travers lui ?
Stéphane Demoustier : J’ai voulu traiter, sans jugement, de la jeunesse d’aujourd’hui. Sachant que dans une affaire judiciaire, tout est exacerbé et que le procès agit comme un miroir grossissant des rapports intergénérationnels. Autour du mystère que représente la jeune accusée, de son portrait en creux, c’est de la famille dont je voulais parler. J’ai moi-même trois enfants, beaucoup plus jeunes que cette ado, mais j’ai remarqué que très vite la question de l’altérité se posait. A qui a t-on affaire ? On a toujours le sentiment de connaître ses enfants mais l’évidence fini par sauter aux yeux :  il s’agit d’êtres autonomes qui nous échappent peu à peu, inexorablement.

Comment avez-vous choisi votre jeune « héroïne » qui réalise ses premiers pas au cinéma ?
Stéphane Demoustier : Je voulais une comédienne qui n’ait jamais tournée. Donc nous avons effectué de nombreux castings et c’est la seule jeune femme qui, dès le début lors de son audition, supportait les silences. Elle m’a bluffé par l’intensité qu’elle leur conférait même. Elle imposait et exprimait vraiment quelque chose. C’était impressionnant et je sentais que sa personnalité allait enrichir le personnage. Ce sentiment ne s’est jamais démenti. Melissa avait l’instinct du jeu et nous l’avons vue devenir une comédienne au fur et à mesure du tournage. Elle a notamment appris à prendre de la distance avec son personnage et constaté que cela n’empêchait pas la vérité de son interprétation.

Qu’est ce qui vous a donné envie de participer à cette aventure ?
Melissa Guers : J’ai commencé par voir une annonce sur Facebook postée par Stéphane Demoustiers. Je me suis alors dit : « pourquoi pas tenter ? ». Le fait de jouer une jeune femme accusée de quelque chose de terrible m’intéressait. C’est quelque chose de fou d’incarner un personnage comme celui de Lise. Puis, le tournage m’a replongé dans mes années lycées et c’était amusant. Pour l’anecdote, j’ai retrouvé il y a peu un journal intime de quand j’étais plus jeune dans lequel j’avais écrit qu’un de mes objectifs était de jouer dans un film d’ici 2010. Maintenant, j’aimerais continuer dans cette voie. D’ailleurs, je serai bientôt à l’affiche d’un nouveau film interactif sur Arte.
Stéphane Demoustier : Melissa peut interpréter plein de choses. Elle a de l’étoffe. C’est aussi pour ça que je l’ai choisie. 

Qu’est ce qui vous a le plus étonnée à l’occasion de cette première expérience ?
Melissa Guers : Pour moi, à la base, une actrice doit parler. Mais, Lise est un personnage assez mutique et, au final, je me suis rendue compte que l’on pouvait aussi très bien jouer avec son visage, son regard, ses yeux, sa bouche. J’ai appris à jouer différemment que ce que je croyais. Avec le ressenti.

Comment avez-vous pensé à Roschdy Zem pour incarner le rôle du père ?
Stéphane Demoustier : J’ai pensé à Roschdy Zem car j’ai vu plusieurs films dans lesquels il a joué et je pense que c’est un acteur inouï. J’avais besoin d’un acteur d’une cinquantaine d’années avec de l’épaisseur, de la maturité. Puis, je trouvais intéressant de lui proposer un rôle autre que flic ou voyou, celui d’un notable crédible. Un rôle où la question de ses origines de ne se pose pas, ne rentre même pas en compte. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de moderne dans cette démarche. 

Et à votre sœur, Anaïs Demoustier, pour interpréter le procureur ?
Stéphane Demoustier : Au départ, je pensais prendre un acteur d’une soixantaine d’années, qui en imposerait par son autorité et son expérience. Mais lors de mes passages au tribunal de Bobigny, je me suis rendu compte que les procureurs étaient très souvent de jeunes femmes de trente ans. J’ai alors appris qu’il y avait une crise de l’emploi de la magistrature et que pour cette raison, il était fréquent de recourir à des substituts du procureur fraîchement sorties de l’école. Des femmes qui, pour prouver qu’elles sont bien à leur place, font souvent un peu de zèle. J’ai donc trouvé intéressant de confier ce rôle à une femme. Et comme on filme bien ceux que l’on aime et qu’on ne l’avait jamais vu dans un tel rôle, j’ai pensé à Anaïs.

Quant au président du tribunal, il s’agit d’un véritable juriste. Pourquoi ce choix ?
Stéphane Demoustiers : Le président du tribunal est interprété par Pascal-Pierre Garbarini, l’avocat pénaliste de Yvan Colonna notamment. Initialement, cela devait être un acteur mais celui sur lequel nous avions porté notre choix n’a finalement pas pu. Comme j’avais besoin d’un avocat, d’un juriste pour apporter une caution, l’idée de prendre un professionnel a fait son chemin. La conseillère juridique qui travaillait sur le film m’a alors parlé de lui, je l’ai rencontré et l’idée lui a plu. C’était génial de l’avoir car il a apporté à chacun plein de conseils.

Pourquoi avez-vous choisi de réaliser un film presque clinique ? Extrêmement proche de la réalité ?
Stéphane Demoustier : Je voulais proposer au spectateur de vivre le procès comme dans la réalité. Que chacun, ensuite, ressente la chose comme il le veut. C’est un film sur la croyance finalement, l’interprétation des faits. A la lumière des témoignages, au fil du film, chacun peut croire ce qui lui semble être la vérité. J’aime l’idée que l’on puisse interpréter très différemment les choses. J’aime les films de procès pour leur dynamisme et le doute qu’il porte. Je veux créer de l’incertitude à l’écran, la même que les jurés peuvent ressentir dans un cas pareil. 

Pourquoi avez-vous souhaité que la majorité de votre long métrage se déroule dans des lieux clos, avec peu d’extérieur ?
Ce côté « enfermé » est là pour montrer que les personnages ne peuvent pas, du moins n’arrivent pas, à sortir du tribunal. Cette affaire les happe, les hante. Ils sont prisonniers de cette histoire. Il y a quelque chose d’oppressant. 

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

 

 

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