People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 02/09/2019

Rencontre avec Mounia Meddour

Des yeux pétillants. Un grand sourire lui barrant le visage. C’est radieuse et pleine d’entrain que la néo-réalisatrice Mounia Meddour nous en a dit plus sur Papicha, son premier long métrage.

Tout d’abord, quel a été votre parcours avant de réaliser ce premier long ?
J’ai grandi en Algérie. J’y ai fait toute ma scolarité, puis une année de fac de journalisme durant laquelle j’ai vécu dans une cité universitaire très semblable à celle du film. A cette période, à la fin des années 90, j’ai également animé une petite émission de radio via laquelle j’ai apporté ma petite contribution à la résistance de cette époque trouble. Mais, au bout d’un an, ma famille a décidé de quitter le pays. En effet, alors que les intellectuels et les artistes étaient particulièrement visés par les extrémistes mon père, cinéaste, avait reçu des menaces. Nous étions au coeur de la « décennie noire ». Nous avons donc posé nos valises à Pantin, en Seine-Saint-Denis. Là, j’ai eu une Maîtrise en Information et Communication. Ensuite, je me suis orientée vers le documentaire. J’ai notamment collaboré avec Albert Jacquard, un homme que j’admire. En parallèle, après un stage d’été à la Fémis, j’ai réalisé un premier court-métrage : Edwige. Peu à peu, le projet Papichaa commencé à germer.

Justement, quelle a été la genèse de Papicha ?
L’élément déclencheur a tout simplement été ma propre expérience d’étudiante en Algérie, dans les années 90. Comme Nedjma, j’ai été dans une cité universitaire où nous étions entre filles. J’ai voulu raconter ce quotidien d’étudiantes algéroises, celui que j’ai vécu, alors que l’intégrisme montait. Que l’oppression se faisait de plus en plus pesante. Comme une chape. J’ai donc pioché parmi les jeune femmes que j’ai côtoyées pour construire mes personnages aux fortes personnalités. Je voulais transmettre cette envie de résister dans un pays en proie au chaos. Ce n’est pas un film sur l’Algérie, mais bien sur la résistance. Au final, ce projet a nécessité 15 ans de maturation, 5 ans d’écriture et seulement 5 semaines de tournage. 

Pourquoi vous a t-il fallu autant de temps pour le concrétiser ?
J’ai eu besoin de me sentir prête, d’avoir fait le deuil de cette période en quelque sorte. D’avoir suffisamment de recul. Puis, il fallait aussi que je fasse mes armes. Que je me forme à l’écriture scénaristique, à la mise en scène, à la direction de comédiens. Enfin, trouver le financement n’a pas été chose facile. Ni côté algérien, ni côté français. 

Ce film est-il autobiographique ?
Comme indiqué au début du film, il est librement inspiré de faits réels. Il parle en partie de moi évidemment. Il est fidèle à ce que j’ai vu, ressenti, à la musique de cette époque. Il s’appuie sur une base historique mais il s’agit bien d’une fiction. Je partage de nombreux points communs avec Nedjma, cette jeune étudiante de 18 ans à travers qui le film est raconté. Comme elle, j’avais ce côté combatif. Comme elle, je n’avais aucune envie de quitter l’Algérie. Ce départ soudain a d’ailleurs été un vrai déracinement. Mais elle n’est pas moi. Par exemple, j’ai eu la chance de ne pas vivre d’attentat pour ma part.

Pourquoi avoir souhaité adopté le point de vue de Nedjma, cette jeune femme courageuse, pour raconter cette histoire ?  
Au cinéma, en tant que spectatrice, j’aime m’identifier à des personnages, suivre leur trajectoire, leurs aventures. J’aime voir comment ils affrontent des obstacles et des drames pour devenir meilleurs. C’est pourquoi j’ai souhaité construire mon scénario et raconter cette histoire à travers le point de vue de cette jeune femme en particulier. Je voulais montrer son cheminement, la résistante dont elle fait preuve et qui embarque le spectateur dans un périple plein d’embûches, portée par son audace, l’amitié, etc. Dans le film, sa passion pour la mode a une dimension symbolique. Tandis que les islamistes voulaient absolument cacher le corps des femmes, elle le dévoile et l’embellit.

Etait-il important pour vous de tourner en Algérie ?
Tout à fait. C’était naturel et primordial pour moi de tourner à Alger. C’est là où j’ai grandi. Je voulais une véracité presque documentaire, de l’authenticité dans les décors. Tout comme pour les personnages et le parler algérois, ce « françarabe » si vivant et créatif. D’ailleurs, papicha est un de ces mots typiquement algérois : il désigne une jeune femme drôle, jolie, libérée. J’aime fusionner la réalité et la fiction. Évidemment, cela n’a pas été facile. Il nous a fallu des accords. Il y a eu des commissions de lecture durant deux ans et demi. Sachant que le Ministère de la Culture algérien à participer au financement, ils ont eu un droit de regard à chaque étape. Mais, finalement, il n’y a pas eu de censure. Tout ce que j’avais écrit à la base se retrouve dans le film. Pour le moment du moins. Papicha sort en Algérie le 21 septembre.

Comment avez-vous déniché vos comédiennes ?
Au départ, nous voulions absolument des actrices algériennes mais le cinéma algérien est quasiment inexistant. Sur les quelques 400 salles que compte le pays, 95 % sont inexploitables. Les films réalisés sont essentiellement des documentaires. La fiction n’est pas très développée pour le moment. Du coup, je suis beaucoup passé par les réseaux sociaux comme Instagram pour trouver mes comédiennes. Lorsque j’ai rencontré Lyna, qui incarne Nedjma, j’ai tout de suite été happée par sa force et sa fragilité. Il y a chez elle une fougue, une innocence, mais aussi une rigueur formidable et une exigence de vérité. En discutant avec elle, j’ai en plus découvert que son histoire personnelle concordait beaucoup avec la mienne. Sinon, Shirine Boutella, qui incarne l’extravertie Wassila, est une youtubeuse que l’on m’a conseillée. Zahra Doumandji, qui interprète Kahina, est dans la vraie vie docteure en biologie. Enfin, Amina Hilda, Samira à l’écran, est une slammeuse de talent.

Comment vivez-vous les différentes marques de reconnaissance que reçoit Papicha ?
Recevoir le Valois du public et celui du scénario au Festival francophone du Film d’Angoulême a été une vraie joie. Ces prix ont quelque chose de prestigieux, surtout pour une jeune femme qui a grandi en Algérie. C’est une fierté. Le Valois de l’actrice pour Lyna Khoudri qui joue Nedjma est une juste récompense pour elle. Notre présence au Festival de Cannes dans la section un Certain Regard a été une expérience formidable. Ensuite, le fait d’avoir été choisi pour représenter l’Algérie pour les Oscars est énorme. Même si je sais que nous n’irons pas bien loin. Toutes ces reconnaissances font chaud au coeur.

Avez-vous d’ores et déjà d’autres projets ?
Je suis en train d’écrire mon nouveau projet. Cela se passera en Algérie, de nos jours, et racontera le contexte politique actuel. Il reviendra sur cette « révolution du sourire » menée par la jeunesse depuis le printemps et qui témoigne d’une vraie énergie, d’une effervescence culturelle incroyable. Je travaille également sur l’adaptation d’un roman. Il s’agira cette fois d’un film d’époque qui se déroulera en France. J’ai tellement été séduite par le travail d’équipe du cinéma, tous ses aspect passionnants, que je souhaite m’y consacrer entièrement désormais. Pour le moment, je mets donc le documentaire de côté. 

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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Sortie : 09/10/2019

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