People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 25/11/2019

Rencontre avec Anne Émond

Au milieu d’une jolie tournée européenne qui l’a vue s’arrêter en Italie, en Grèce, ou encore en Allemagne, la réalisatrice québécoise, Anne Émond, s’est fendue d’une escale à Nantes. L’occasion de nous en dire davantage, et en toute franchise, sur Jeune Juliette, son teen movie pop. Le tout avec l’accent de la Belle Province évidemment.

Au regard de votre filmographie, la comédie n’était pas une évidence. Pourquoi vous être tournée vers ce genre ?
Après 3 films sombres, plutôt lourds, aux sujets très durs, j’ai voulu m’octroyer un peu d’air frais, d’humour et de changement. Avec cette histoire, tout était pourtant réuni pour réaliser un drame, mais j’ai tout de suite voulu raconter cela par le prisme de la comédie. Je voulais qu’il y ait plus d’espoir, d’optimisme que dans mes précédents longs métrages. J’en avais besoin. Je sais que les teen movie, les feel good movie ne sont pas toujours pris au sérieux, mais j’avais envie de me frotter à ce genre. Au final, réaliser ce film a été une grande joie, une expérience humaine formidable. Et alors que mes précédents films étaient plus clivants, celui-ci est plus conciliant, plus inter-générationnel. Même si on ne fait pas du cinéma pour être forcément aimé, je voulais quelque chose qui soit plus grand public, qui réunisse davantage. 

Quelle est la genèse de cette histoire ?
Pour commencer, j’ai toujours su que je ferai un jour un film d’initiation, sur l’adolescence. Un coming of age comme on dit chez nous. Je suis consciente qu’il s’agit d’un genre déjà pas mal traité mais je pense que Jeune Juliette sort un peu du lot. Déjà parce que le personnage principal est une jeune fille. Ce qui n’est pas si fréquent. Mais aussi parce qu’il est question d’une jeune fille grosse, donc éloignée des standards habituels. Plus concrètement, cette histoire est plus ou moins la mienne. Car, moi-même à l’adolescence, je pesais 30 kg de plus qu’aujourd’hui. Sauf que j’étais bien plus timide que Juliette et incapable de me défendre face aux moqueries. A 14 ans, j’aurais donc aimé pouvoir voir un film comme celui-ci. Peut-être que cela m’aurait aidé. En fait, ce long métrage, à travers Juliette, est en quelque sorte ma réponse à ces années difficiles. La réponse que je n’ai pas su trouver à l’époque. Il y a un côté cathartique. Le résultat donne un film très pop, un peu intemporel, qui évoque les tourments de la jeunesse, l’apprentissage de la vie. J’ai voulu poser un regard réaliste, décomplexé et tendre, mais sans condescendance, sur une période de pleine ébullition.  

Au-delà du personnage de Juliette, ce film traite de la différence de façon plus générale : l’autisme, l’homosexualité… Etait-ce un désir dès le départ ?
Au départ, le film était vraiment centré uniquement sur Juliette, car j’avais avant tout envie de parler de moi. Puis, j’a ressenti le besoin de l’entourer de personnages secondaires, adolescents et adultes. Les personnages de Léanne et Arnaud sont arrivés rapidement au cours de l’écriture. A travers eux, je voulais en effet parler de la différence physique, mentale, d’orientation sexuelle, mais tout cela en évitant les étiquettes et stéréotypes habituels. A travers ce film, il s’agit finalement de parler de l’acceptation de la différence.

Comment avez-vous choisi vos comédiens ?
Les comédiens adultes sont assez connus au Québec. Notamment le père de Juliette et le prof de français qui est quelqu’un de très apprécié et populaire chez nous. En fait, j’ai proposé les rôles adultes directement à des comédiens que j’appréciais et qui me semblaient être sur la même longueur d’onde que moi. De a sorte, J’ai pu orienter toute mon énergie dans la recherche des trois adolescents principaux : Juliette, Léanne et Arnaud. Pour le coup, nous avons fait de nombreuses auditions, rencontrés plein de jeunes. Pour chacun, il s’agit d’une première expérience au cinéma. Concernant Juliette, cela a été plus compliqué de trouver la bonne personne car les agences ont beaucoup de comédiennes minces, mais pas en surpoids… Et puis, je me voyais mal procéder par un casting sauvage car il me semblait impensable d’aborder une jeune fille dans la rue pour lui dire que nous cherchions quelqu’un de gros pour un film. Ca aurait été violent. Finalement Alexane Jamieson nous a été proposée. Elle voulait devenir actrice depuis ses 6 ans mais elle ne trouvait pas de rôle en raison de son physique. Nous nous sommes rencontrées et je l’ai trouvé formidable. Elle a tout de suite voulu porter ce sujet et défendre un tel film. Cela lui tenait à coeur, comme si elle se sentait investie d’une mission.

Pourquoi avez-vous choisi de tourner en 35 mm ?
J’ai fait ce choix pour plusieurs raison. D’abord car, dans Jeune Juliette, je fais beaucoup de références à des films cultes des années 80, comme Breakfast Club et Karaté Kid notamment. Des films tournés en 35 mm dont j’ai été gavés dans ma jeunesse. J’ai ainsi voulu revenir à mes premières amours cinématographiques. Puis, en plus d’apporter un côté « culte », cela participe beaucoup à l’esthétique que je voulais conférer au film. La banlieue montréalaise n’est pas belle, la lumière de l’été est crue et, il faut être honnête, les comédiens ne sont pas somptueux, loin d’être des canons de beauté. Donc cela apportait un plus je trouve.

En parlant des films de votre jeunesse, qu’est ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ?
Lorsque j’ai vu L’Effrontée de Claude Miller à 7 ans, cela m’a marqué. Ca a été ma première révélation cinématographique. Je l’ai ensuite revu de nombreuses fois. Et je me suis mise à écrire mais sans savoir ce que je voulais faire de ma vie. A 15 ans, j’ai vu Trainspotting et à partir de là j’ai vraiment commencé à m’intéresser au cinéma. De façon compulsive. Dès que j’ai pu je me suis donc lancé dans des études de ciné à Montréal et me voilà arrivée ici.

Comment le film a t-il été accueilli à sa sortie au Québec ?
Le film est sorti au mois d’août au Québec et est resté jusqu’à trois mois dans certains cinémas de Montréal. Ce qui est énorme. Il y a eu un vrai enthousiasme de la part du public. C’est un grand bonheur.

Avez-vous déjà de nouveaux projets sur le feu ?
Mon prochain film sera également plus léger. Il s’agira d’une comédie romantique entre deux personnes complètement dépressives et dysfonctionnelles. Ce sera très décalé. Cela étant, je reviendrai certainement à la tragédie à un moment donné. Ce qui est sûr c’est que pour l’instant, je veux continuer de construire ma filmographie à partir de ce que je connais, raconter ce qu’est le Québec, parler de sa culture, ses habitants. Je pense que j’ai encore pas mal d’histoires à écrire sur le sujet. Cela m’inspire.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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