Le néo-réalisateur et dessinateur de BD Mathieu Sapin, et la comédienne Alexandra Lamy, nous ont accordé quelques minutes d’entretien au milieu de leur tournée de promotion, afin de nous présenter Le Poulain, leur comédie sur les dessous d’une campagne présidentielle.
Quel est le point de départ de ce premier film ?
Mathieu Sapin : Ma rencontre avec Stéphane Parthenay, l’un des producteurs du film. Il avait aimé deux bandes dessinées d’observation que j’avais faites. L’une pour Libération, l’autre sur François Hollande en 2012, pour laquelle j’avais été autorisé à suivre l’équipe de campagne de l’intérieur, tout du long. Lorsque l’on s’est rencontré, il m’a proposé de réfléchir à un scénario et m’a présenté Noé Debré, le scénariste avec lequel nous avons écrit ce film à quatre mains. J’avais déjà fait un court-métrage, donc j’avais une petite expérience d’un plateau. Mais là, c’était complètement différent. Honnêtement, si on ne me l’avait pas proposé, je n’aurai certainement pas eu l’idée de faire un tel film.
Comment vous est venu l’idée de ce jeune homme propulsé dans le grand bain de la politique ?
Mathieu Sapin : Lorsque j’ai commencé à suivre la campagne de 2012, j’ai été amusé de voir que sans aucun contact, en étant tout à fait extérieur à tout ça, j’ai pu intégrer ce petit monde. J’étais vraiment à l’intérieur de la machine. J’ai vécu des choses assez dingues. J’étais avec François Hollande au moment de l’élection, et en 2017 lors des résultats. Avec cette histoire, je voulais finalement montrer, qu’aussi cloisonné qu’il peut paraître, le monde politique est poreux malgré tout.
Vous êtes-vous inspirés de personnes précises pour donner vie à cette comédie?
Mathieu Sapin : Nous avons plutôt mélangé des caractères et des situations que j’ai entrevus et vécues, notamment lorsque j’ai suivi la campagne présidentielle de 2012. Les personnages et les scènes que l’on voit donc à l’écran sont constitués d’un mélange de choses tirées de la réalité. Puis, nous sommes aussi allés chercher du côté de certains classiques de la littérature, en piochant dans Balzac ou Stendhal qui ont mis en scène de jeunes gens partant faire leur apprentissage à Paris. En fait, je ne voulais pas que l’on puisse faire de comparaison. Que l’on cherche à savoir si je parle d’Hollande ou de Macron, ou de tel ou tel politique. C’est pour cela, par exemple, que j’ai mis une femme à l’Elysée. En plus de l’envie de montrer des femmes fortes, de pouvoir. On peut parler de réalité déformée. Je veux que ce film soit considéré comme une fiction à part entière et qu’elle puisse aussi être appréciée par des Allemands, des Espagnols, etc.
Pour autant, vous avez fait appel à Gaspard Gantzer, un vrai politique, pour jouer dans votre film. De quoi brouiller les pistes entre fiction et réalité. Comment avez-vous pensé à l’enrôler ?
Mathieu Sapin : Je me suis tourné vers Gaspard Gantzer car je cherchais un conseiller politique pour le film. J’ai rencontré plusieurs comédiens mais je n’y croyais pas. Ils en faisaient trop. Il fallait quelqu’un qui soit dans le vrai. Quand je lui ai proposé l’idée, cela l’a émoustillé. Il a alors lu le scénario et m’a dit banco.
Malgré votre désir de réaliser une véritable fiction, le souci de réalisme semble particulièrement prégnant…
Mathieu Sapin : Il était en effet important d’être réaliste et crédible. En plus d’avoir suivi de près la campagne de 2012, je me suis également beaucoup rendu sur le terrain en 2017. Je suis allé à de nombreux meetings. De Marine Le Pen, d’Emmanuel Macron, de Manuel Valls, etc. J’ai aussi emmené certains comédiens à des conférences de presse. J’ai rencontré pas mal de journalistes – certains jouent leur propre rôle à l’écran -, de politiques afin de m’assurer d’être le plus réaliste possible. Ce qui est amusant c’est que les politiques sont souvent fascinés par le cinéma.Par ailleurs, le fait d’avoir pu passer pas mal de temps à l’Elysée pour ma BD me permet de connaître très bien les lieux. De quoi réaliser un story board assez précis.
Vous montrez un univers politique très cynique. Quel regard portez-vous sur ce milieu ?
Mathieu Sapin : J’ai plutôt une approche balzacienne des choses. Je pense que les comportements que l’on voit dans le film ou dans la réalité sont inévitables. Je voulais montrer des personnages humains qui ont des défauts mais qui, par certains côtés, sont également attachants. On peut voir cela de façon cynique mais je ne veux pas que l’on pense que ce film dresse un constat nihiliste sur la classe politique. Toutefois, selon moi, par essence, ce milieu favorise et exacerbe les tensions. La politique commence déjà au sein même d’une équipe de campagne. Chacun à son statut, ça se tire dans les pattes. Il y a une certaine compétition pour être le mieux placé. C’est une comédie qui s’inspire de Molière, de Balzac. Avec un humour féroce. Ce qui me plaisait c’était de montrer des caractères.
Etonnement, vous présentez un candidat à la présidentielle un peu passif par rapport à tout ce qui l’entoure…
Mathieu Sapin : J’aimais bien la figure du type qui se retrouve en première ligne un peu malgré lui. Sans qu’il n’ait vraiment voulu cela et qui se voit pousser par toute une équipe. Je voulais montrer toute cette machine autour qui empêche totalement de faire marche arrière. Lui est un peu dépassé au final.
Alexandra Lamy, qu’est ce qui vous a séduit dans ce projet ?
Alexandra Lamy : Lorsque j’ai lu le scénario, j’ai absolument tout adoré. Habituellement, je suis plutôt du genre à faire pas mal d’annotations afin de discuter de certaines choses ensuite. Mais pour une fois, je n’ai rien changé. J’ai trouvé que tout ce qui était écrit était parfait, sonnait juste. Un bon signe dès le départ.
Mathieu Sapin : Un casting est toujours fait de choix. Alexandra Lamy et Finnegan Oldfield constituent le pilier du film et je trouve qu’ils forment un vrai couple de cinéma. Ce qui n’est pas évident du tout à composer. Ce que je trouve intéressant, c’est que malgré la différence d’âge entre eux deux, on y croit.
Comment vous êtes-vous plongée dans la peau de cette directrice de la communication d’un candidat à la présidentielle ?
Alexandra Lamy : Déjà, j’avais la chance de pouvoir compter sur un réalisateur qui connaît parfaitement son sujet. Ensuite, je me suis beaucoup nourri de documentaires. J’ai aussi regardé des débats. C’est amusant car les hommes et les femmes qui évoluent dans la politique sont également des comédiens. Chacun joue un rôle bien précis. Pour construire mon personnage, j’ai puisé dans des personnes différentes. Ce qui est intéressant, c’est de voir à quel point ces gens sont prêts à tout pour atteindre le pouvoir. J’ai adoré incarner ce personnage. Ce n’est pas une femme qui dévoile ses faiblesses. Elle est dans un milieu très masculin et doit se montrer d’autant plus forte. Elle a un côté pervers, cruel. Je ne voulais pas la rendre trop sensible, même si elle n’est pas dénuée de sentiments non plus. C’est une femme qui joue.
Mathieu Sapin : Son mot d’ordre, c’est qu’en politique on ne peut pas faire de sentiments, sinon on échoue.
Avez-vous consulté votre cousin François Lamy, ancien ministre, pour glaner quelques conseils ?
Alexandra Lamy : Je n’ai pas parlé avec mon cousin car on évite tout simplement de parler de politique en famille. Surtout que tout le monde n’est pas du même bord, donc on préfère ne pas aborder le sujet. En revanche, j’ai hâte qu’il voit le film et qu’il puisse me dire ce qu’il en a pensé.
Comment vous est venu l’idée du personnage cocasse incarné par Philippe Katherine ?
Mathieu Sapin : J’ai réellement croisé des gens comme le personnage qu’incarne Philippe Katherine. Ce genre de personnes qui veulent en être et qui sont prêtes à tout pour exister. Ils veulent se rapprocher au plus près du pouvoir, du roi. Ces individus ont de tout temps existé.
Aviez-vous des références particulières en tête qui vous ont inspirées ?
Mathieu Sapin : J’ai regardé pas mal de séries américaines et françaises. Quelques films également, parmi lesquels Quai d’Orsay et L’Exercice de l’Etat qui sont les deux références du genre en France selon moi. J’adore un réalisateur comme Armando Iannucci qui parle, dans son cinéma, de politique de façon très drôle, très féroce. Ce qui est étonnant, c’est que l’on est un pays très politique et que l’on a mis longtemps en France avant de s’intéresser à cela au cinéma et à la télé. Même si les choses ont un peu évolué depuis quelques années avec des séries bien installées comme Baron Noir par exemple.
Propos recueillis par Mathieu Perrichet
Arnaud Jaurès, 25 ans, novice en politique, intègre par un concours de circonstances l’équipe de campagne d’un candidat à l’élection présidentielle.