People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 03/03/2020

Rencontre avec Sébastien Lifshitz

Le réalisateur Sébastien Lifshitz s’est fendu d’une escale à Nantes pour venir nous en dire plus sur son nouveau film documentaire : Adolescentes.

Comment est née cette idée de filmer l’adolescence durant 5 années ?
Ce qui m’intéressait c’était de montrer cette période clé, pleine de changements. Ce moment où l’on abandonne peu à peu l’enfance pour aller vers l’âge adulte. Mais durant lequel perdurent une certaine inconscience et une innocence du monde. C’est aussi un temps où les injonctions à se définir - familiales, sociales et sexuelles – commencent à se faire pressentes : Qui es-tu ? Que désires-tu ? Quels sont tes talents ? Comment vois-tu ton avenir ? Un grand nombre de questions ouvertes, qui instillent un état de doute, de désarroi, voire même de perdition chez les jeunes. La majorité des ados n’ont pas les réponses à ces questions. L’adolescence est souvent chaotique, perturbante. Il faut du temps pour se trouver. C’est tout cela que je désirais donner à voir. Avec une bienveillance que j’assume.

Pourquoi vous êtes-vous concentré sur deux adolescentes ?
Au départ, j’avais dans l’idée de me concentrer plutôt sur un adolescent. Car étant un homme, j’imaginais un peu bêtement qu’un regard masculin sur une fille serait perturbant pour elle. Surtout à un âge synonyme de nombreux bouleversements, notamment physiques. En faisant les castings et en préparant le film, les choses ont peu à peu évolué. En fait, ce sont les proviseurs des collèges et lycées que j’ai rencontrés qui m’ont fait comprendre que se pencher sur des filles aurait sans doute davantage d’intérêt. Parce qu’elles sont plus matures et changent, se transforment davantage que les garçons durant cette période. 

Comment avez-vous sélectionné Emma et Anaïs ?
Il fallait que je caste l’ado bien sûr, mais aussi la famille l’entourant. Puis, j’ai finalement choisi de sélectionné deux jeunes filles. Un documentaire est une rencontre. J’ai jeté mon dévolu sur Emma et Anaïs car j’ai été séduit par ces 2 ados, copines depuis la 6e. De milieux sociaux et de caractères diamétralement opposés, elles s’avèrent néanmoins parfaitement complémentaires. A mes yeux, ce duo représentait bien l’incarnation de l’adolescence dans sa diversité. En fait, Adolescentes est devenu un double portrait et l’histoire d’une amitié à travers le temps

Pourquoi avez-vous choisi de tourner à Brive ?
Souvent, lorsque l’on parle de l’adolescence à la télé, on l’associe aux banlieues et tous les problèmes qu’elles génèrent. Je voulais absolument m’éloigner de ce cliché. Donc le casting a d’abord commencé par un casting de ville. Si j’ai choisi Brive, c’est parce que c’est une ville moyenne de province, un peu neutre et dormante, avec une certaine douceur de vivre et où la délinquance est anecdotique. C’est une ville qui a quelque chose d’universel. Puis, je voulais filmer l’espace périurbain, sachant que 75 % des Français y vivent. Enfin, Brive possède un atout de taille pour mon projet : la présence d’une dizaine de collèges et lycées qui drainent tous les enfants des environs. C’était donc un vivier rêvé pour moi. Durant cinq ans, la ville a été une sorte d’immense plateau où j’avais la chance d’avoir la liberté d’aller partout.

Comment s’y prend-on pour se faire oublier, faire oublier la caméra au milieu d’un contexte intime, familial, amical, etc, et ne pas déformer la réalité ?
Lorsque j’ai rencontré Emma et Anaïs, elles avaient toutes les deux cette envie de devenir actrice depuis longtemps. Comme de nombreuses ados. Cela a donc facilité les choses car il fallait avoir envie d’être filmé, et ce pendant 5 ans. Ce désir a aussi permis de rendre les choses plus naturelles. Certes, à chaque fois que je les retrouvais et que j’allumais la caméra, elles faisaient leur show. Mais toujours, le naturel revenait au galop. Puis, souvent la situation était plus forte que le dispositif autour. La caméra n’était alors plus un enjeu. Sans compter qu’à force elles se sont habituées à ma présence et à celle de la caméra. Je suis même devenu un confident, un ami avec le temps. 

Qu’ont-elles pensé du film lorsqu’elles ont pu le voir finalisé ?
Lorsqu’elles ont découvert le film, Anaïs m’a dit qu’elle avait eu l’impression, en se voyant, d’être quelqu’un de bien. Ce dont elle doutait. Elle s’est regardé avec plus d’indulgence. Emma, ça a été plus difficile, car elle a vu à l’écran son asociabilité, sa maladresse, sa mélancolie. Mais, dans l’ensemble, elles ont trouvé que le film renvoyait une image plutôt juste d’elle. 

Comment ne pas travestir d’une certaine manière la réalité lorsque l’on condense 5 ans de vie en un film de 2 heures ?
C’est vrai que ça a été un énorme travail. Au bout du compte, je me suis retrouvé avec 500 heures de rush, composées de 1 100 séquences. Il a fallu faire du tri comme vous l’imaginé. Nous avons donc conservé le nectar. Sans chercher à aucun moment à faire un best-of. Il s’agissait vraiment de rendre compte le mieux possible de ces cinq années. Le résultat ne donne clairement pas une idée fausse. Nous n’avons aucunement simplifié le parcours des filles, leur caractère, etc.

Y a t-il eu une petite dose de mise en scène ?
Il n’y a aucune mise en scène à proprement parlé. Toutefois, durant ces 5 années, je me suis rendu à Brive une fois par mois. Du coup, durant mes absences, il pouvait évidemment se passer des choses importantes qu’il me semblait essentiel d’aborder dans le film. Donc, à mon retour je provoquais un peu les choses afin que les filles reviennent sur ces moments. Comme il s’agissait de choses brûlantes, fortes, il en fallait peu pour qu’elles se replongent dedans avec naturel. Le point de départ avait donc un côté artificiel, mais c’était juste pour rendre compte des choses le plu fidèlement possible. Ensuite, au niveau du montage, je voulais une écriture cinématographique du point de vue formel. Je ne voulais pas faire du reportage pur. J’ai donc emprunté les codes, le langage de la fiction.

A travers leurs parcours, c’est aussi le portrait de la France de ces dernières années que vous tirez. Etait-ce un choix délibéré dès le départ ?
Souvent dans mes films, je pars d’une histoire singulière pour parler de choses plus générales. A mon sens, plus on raconte quelque chose d’intime et personnel, plus on peut raconter le grand récit de la société française.

Quels sont vos projets ?
J’aimerais pouvoir continuer d’alterner entre docus et fiction. Toutefois, mes deux films suivant seront également des docus. Le prochain, que j’ai déjà présenté à Berlin, s’appelle Petite fille. Il raconte l’histoire sur un an d’un enfant de 7 ans qui, depuis ses 3 ans, dit et répète être une petite fille, alors qu’il est un petit garçon. Je voulais montrer par ce film que la transsexualité n’est pas une question de sexualité, mais bien d’identité. Ca a été une expérience très forte.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

 

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