People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 27/02/2019

Rencontre avec Fabienne Godet et Julie Moulier

La réalisatrice Fabienne Godet et la comédienne principale, également co-scénariste, Julie Moulier nous ont accordé un entretien afin de nous en dire davantage sur leur film Nos vies formidables. Avec une loquacité trahissant un enthousiasme non feint et plaisant. Mais aussi avec authenticité et simplicité, à l’image de leur long métrage. 

Comment vous est venue l’idée de traiter du thème de l’addiction ?
Fabienne Godet : Il y a plusieurs choses qui m’ont amené à vouloir réaliser un film sur l’addiction. J’ai notamment connu une personne qui était toxico. C’était le frère d’une amie. J’ai appris plus tard qu’il aurait aimé que je prenne sa parole et que j’en fasse quelque chose, mais je n’en ai pas eu le temps car il s’est suicidé. Cette rencontre m’a toutefois marqué. Après cela, j’ai donc lu pas mal d’ouvrages sur le sujet. Je voulais aussi faire un film collectif, avec une dynamique de groupe, sur le plateau, mais surtout en amont, dès l’écriture. Un tel sujet le permettait.

Vous a t-il semblé tout de suite évident, pertinent, d’aborder ce sujet par le biais de la fiction et non du documentaire ?
Fabienne Godet : Avoir accès à l’intime comme dans le film, aurait été très compliqué avec un documentaire, car la présence des caméras a tendance à influer, même inconsciemment, sur les gens. Les témoignages, les attitudes n’auraient sans doute pas été si naturels. Je ne me serais donc pas senti de passer par un tel format. Par ailleurs, il est question ici de narcotiques anonymes. Par définition, il n’est pas question de dévoiler qui ils sont. Il aurait donc été impossible d’obtenir le rendu souhaité.

Comment avez-vous procédé pour rester au plus proche de la réalité ?
Fabienne Godet : J’ai effectué de nombreux entretiens avec des gens des narcotiques anonymes et avec la Communauté Thérapeutique d’Aubervilliers dont le film s’inspire. Je suis partie de mes rencontres, des témoignages récoltés, pour créer mes personnages de toutes pièces. Cette immersion a été à la base de tout. Ensuite j’ai utilisé cette matière première, j’ai mélangé l’ensemble et restitué le tout par petits bouts dans chaque rôle. Du coup, tout est vrai et tout est faux à la fois. 

Comment avez-vous pensé à Julie Moulier pour incarner Margot, le personnage principal ?
Fabienne Godet : Nous avions déjà collaboré ensemble pour Une place sur la terre et je savais qu’elle avait un fort potentiel. C’est une actrice formidable et une personne que j’apprécie beaucoup. Quand le projet a pris forme, j’ai tout de suite pensé à elle. A tel point que je voulais qu’elle incarne le personnage principal, mais aussi que l’on travaille en amont, sur l’écriture. D’autant que je trouvais son expérience du théâtre, dont elle est issue, très intéressante.

Julie Moulier, comment avez-vous donc participer à l’écriture de ce film - une expérience inédite pour vous  ?
Julie Moulier : Nous avons eu de nombreux échanges, partagé nos idées. Pour ma part, je ne suis absolument pas scénariste. Je suis parfaitement incapable d’écrire un dialogue. Donc lorsqu’on dit que je suis co-scénariste, cela concerne surtout la réflexion globale que l’on a menée toutes les deux avec Fabienne. Nous avons décidé de concert des thématiques que nous désirions aborder notamment, de la coloration d’ensemble.
Fabienne Godet : Mais il y a en fait plein de façons différentes d’être auteur, de participer à l’«écriture» d’un film.

Comment avez-vous procéder pour le reste de votre casting ?
Fabienne Godet : Il y avait des fiches personnages très détaillées. A partir de celles-ci, nous avons,  essayé de trouver les personnes les plus adéquates pour chaque rôle. Avec Julie, nous avons chacune chercher dans notre entourage les meilleurs comédiens possibles avec qui nous avions envie de travailler. Ainsi, chacune de nous est allée chercher quelqu’un pour un rôle et non 15 à chaque fois.
Julie Moulier : Nous avons essayé de penser aux personnes que l’on connaissait, qui correspondait le mieux à chacun de ces personnages très écrits. Si nous avons accordé une peu d’importance aux physique, nous ne voulions cependant pas tomber dans les clichés liés à ces personnes. Nous avons pas mal fonctionné à l’instinct au final. En outre, c’était très important pour moi que ce ne soit pas des « vrais gens » qui incarnent ces personnages. Aujourd’hui, c’est très répandu dans le cinéma de ce type de procéder de la sorte, avec des acteurs non professionnels. Je n’avais pas envie de ça. J’étais donc heureuse de prouver, à travers Nos vies formidables, que des comédiens de métier étaient tout à fait aptes à jouer des rôles pareils, en étant parfaitement crédibles. Enfin, je trouve dommage qu’il soit rarement fait appel aux gens du théâtre pour des films de cinéma. De façon injustifiée à mon avis. Sachant que Fabienne souhaitait faire les choses différemment, je me suis engouffrée dans la brèche pour ouvrir des portes à des acteurs qui n’ont donc que très peu accès au 7e art. Ca a été un vrai plaisir.
Fabienne Godet : Au départ, il devait y avoir un grand nom au casting. Je ne vous dirais pas qui, mais je me suis finalement rendue compte que je ne voulais pas de vedette. Je souhaitais avoir une troupe. Que tout le monde se fonde de la même façon dans le groupe. 

Comment avez-vous fait pour impulser cet esprit de groupe soudé qui transparait à l’écran ?
Fabienne Godet : Comme je l’indiquais plus tôt, depuis le départ, il m’importait que ce film soit une véritable aventure collective. Il fallait donc que les comédiens aient envie de cela et fasse preuve de générosité. Dans la réalité, ces gens que l’on voit à l’écran représentent des communautés de liens. Le soin se fait par la communication, la solidarité, le partage. Ces notions étaient donc importantes sur le plateau. Au final, ce qui est génial, c’est que la dynamique de groupe existait même en dehors du tournage, lorsque les caméras ne tournaient pas. Nous partagions tout ensemble. Nous avons vraiment fonctionné comme une troupe. D’ailleurs, un comédien dont le rôle ne s’étalait pas sur le tournage entier n’a pas voulu nous quitter et s’est donc trouvé d’autres missions sur le plateau. Les acteurs faisaient aussi de l’assistance. Julie adorait, par exemple, faire de la perche lorsqu’elle ne jouait pas. Même les acteurs hors champs se sentaient très concernés par chaque scène. Tous ont été marqués par ce tournage. Encore aujourd’hui, nous sommes toujours en contact. Ce n’est pas toujours évident dans le milieu du cinéma mais nous avons créé un groupe de discussion sur Messenger, baptisé « NVF Power », que nous utilisons beaucoup. Nous avons tellement de bons souvenirs. Ca a été une vraie belle aventure, pleine d’humanité, qu’on essaie de poursuivre un peu. 

Par ailleurs, comment vous y êtes vous prises pour obtenir un rendu aussi crédible, réaliste ?
Fabienne Godet : Pour chaque scène, je me suis basée sur des bouts d’entretiens que j’avais effectués au préalable. Au compte goûte, je distribuais ainsi aux comédiens ces extraits mélangés et leur demandais de s’attacher à respecter scrupuleusement le contenu, tout en se l’appropriant. Il était primordial que le fond soit là. Sur la forme, je leur laissais la liberté d’interpréter cela de la façon qui leur semblait la plus appropriée. Les acteurs n’avaient pas rencontrées les personnes réelles, ce qui permettait de ne pas tomber dans le piège dangereux de l’imitation. Je voulais aussi que le langage soit respecté car dans ces milieux, il s’avère que les gens utilisent un vocabulaire, des expressions bien spécifiques. C’était donc écrit, mais sans l’être vraiment. Il y avait là encore un travail collectif au cours duquel chacun pouvait faire des propositions. Je ne voulais pas les enfermer dans une écriture trop figée. Je voulais qu’ils ressentent des émotions et qu’ils soient très libres d’apporter leur patte. Avec toujours cette idée de faire du faux avec du vrai.  
Julie Moulier : Parfois même, imaginée lors d’une pause clope, une scène était rajoutée au film sur le pouce. Sans que tous les acteurs ne soient tenus au courant. Ainsi, cela rajoutait du naturel lorsqu’il découvrait le dialogue. Leur étonnement n’était pas feint. En fait, ce film est un savant mélange permanent entre quelque chose de très construit et une certaine impro de dernière minute. Il y a un mix de dramaturgie très réfléchie, pensée et de spontanéité. Cela permettait d’être plus proche de la réalité.
Fabienne Godet : De surcroit, la Communauté Thérapeutique d’Aubervilliers a une méthode particulière à suivre dont nous montrons bien les différentes étapes dans le film. Tous les comédiens ont donc été confrontés, au cours d’une semaine de préparation, aux groupes de thérapie, aux récits de vie, aux expériences de constellation familiale. Ils maitrisaient ainsi toutes ces notions. 
Julie Moulier : En tant qu’actrice, cette liberté cadrée a été une vraie source d’interrogation. C’était une façon de procéder vraiment intéressante à explorer, enrichissante. Au final, la sensation de réel à l’écran, par le biais de divers stratagèmes, est en fait très construite.

Procéder de façon plus classique de nouveau vous semblerait-il possible après une expérience visiblement aussi marquante ?
Fabienne Godet : Parfaitement. D’ailleurs, pour mon prochain film, tourné l’été dernier, je suis revenue à une façon de procéder plus traditionnelle, classique. Il s’agira d’un road movie entre Angers, d’où je viens, et Lisbonne. Contrairement à ce film avec une unité de lieux, il y aura 93 décors différents. Julie y a de nouveau le rôle principal.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

 

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Sortie : 06/03/2019

Margot, Jérémy, Salomé, César, Sonia…Ils ont entre 18 et 50 ans. Tout les sépare, sauf l’urgence de se reconstruire et de restaurer la relation à l’autre que l’addiction a détruite.