People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 18/11/2019

Rencontre avec Lucie Borleteau

Après avoir appris ses gammes cinématographiques au lycée Guist’hau à Nantes, la jeune cinéaste Lucie Borleteau a fait un crochet par la ville qui l’a vue grandir afin d’en dévoiler davantage sur son deuxième long métrage. Une adaptation de Chanson douce, le prix Goncourt 2016. 

Comment ce projet d’adaptation a t-il vu le jour ?
C’est un producteur qui m’a conseillé de lire ce roman de Leïla Slimani, avec une idée derrière la tête. Dès les premières pages, j’ai été happée par ce qui était écrit sous mes yeux et j’ai totalement occulté le fait qu’un film pourrait découler de cela. Toutefois, en refermant le livre, j’ai très vite pris conscience des ressources qu’il recelait pour le cinéma. Pour être honnête, j’ai eu un véritable engouement pour ce roman qui m’a vraiment chamboulé. Il y a dans cette histoire un aspect très naturaliste, un côté thriller, proche du film de genre. Quelque chose que l’on retrouve peu en France. Je percevais la possibilité de réaliser un film hybride et audacieux. Un défi ô combien excitant.

Le travail d’adaptation d’un roman n’est-il pas particulièrement compliqué, voire contraignant ?
Paradoxalement, la contrainte a tendance à me donner de la liberté, des idées. Je ne me suis donc pas du tout sentie bridée à l’idée d’adapter un roman. D’autant qu’il y avait beaucoup trop de choses qui m’excitaient à l’idée de réaliser ce film : le huis-clos, les enfants, etc. C’était un vrai challenge à relever. Puis, l’auteur, Leïla Slimani, ne voulait pas forcément un droit de regard. Elle m’a rapidement mise à l’aise, en confiance, et m’a assuré qu’il s’agissait vraiment de mon film. Au final, je suis ravie car elle a adoré le résultat et n’hésite pas à en faire la promo elle-même. Elle m’a même avoué avoir eu peur en le voyant et s’est demandé comment elle avait pu écrire de telles choses. 

En parlant de liberté, votre film ne commence pas de la même manière que le roman. Pourquoi ce choix ?
La décision de ne pas commencer par la fin de l’histoire, contrairement au roman, est arrivée au montage. Je trouve que ce choix permet de donner une identité propre au film. Par ailleurs, cela ajoute en tension, tout en retirant une désagréable épée de Damoclès au dessus de la tête du spectateur, que je ne voulais pas maltraiter. Car si un livre peut se lire en plusieurs fois, un film au cinéma se regarde d’une traite, sans respiration. La démarche n’est pas la même. Et donc l’effet non plus. L’idée était de happer le public, mais pas de l’effrayer.

Comment le choix s’est-il porté sur Karin Viard pour incarner cette nounou pour le moins ambivalente ?
Que Karin Viard incarne cette nounou était évident puisqu’elle est, en quelque sorte, à l’origine du projet. En effet, elle a été l’un des moteurs de cette adaptation, puisque c’est elle qui a suggéré l’idée la première, avant que le projet initial ne tombe à l’eau. Puis, un autre projet monté par une nouvelle équipe a vu le jour et elle y a automatiquement été associée. Selon moi, c’est une idée de casting de génie. Karin Viard est une actrice extraordinaire, parfaite pour interpréter le personnage de Louise. Un personnage ambivalent, troublant. Qui fait peur, mais pour qui on peut tout de même avoir de l’empathie. C’est une femme qui, au départ, inspire confiance, mais qui a aussi une grande violence en elle. C’est une personne en proie à l’humiliation sociale. A cet égard, Karin Viard était parfaitement crédible, légitime, pour ce rôle, puisqu’elle a déjà joué dans plusieurs films avec, justement, un arrière fond social. 

Votre film raconte l’horreur, sans pour autant la montrer véritablement. Pourquoi ce choix ?
Le film traite d’un sujet pour le moins difficile. Il raconte un cauchemar que partage tous les parents. L’effroi, l’indicible qui rentre au sein du foyer. Pour autant, il était difficile, voire impossible, de réaliser un pur film d’horreur à mes yeux, au risque de tomber dans le cliché. C’est dans cet état d’esprit que je n’ai pas voulu montrer directement l’horreur à l’écran. J’ai une certaine morale et je ne voulais pas tomber dans une sorte de voyeurisme inutile. Dans le livre, les mots décrivent l’horreur de façon très dure, très crue. Mais les mots et les images n’ont pas le même impact. J’ai donc voulu proposer quelque chose de plus baroque, plus graphique.

La musique joue un véritable rôle dans l’atmosphère du film. Quelle importance avez-vous accordé à cette bande originale ?
Nous avons effectivement accordé beaucoup d’importance à la musique. J’ai d’ailleurs travaillé pour la première fois avec un compositeur, avec qui nous avons essayé beaucoup de choses. Nous avons notamment distordu des comptines, pour les rendre plus étranges, inquiétantes. Je crois beaucoup au pouvoir du son, qui a quelque chose de viscéral. Plus que l’image, qui dans notre société a tendance à nous submerger par son omniprésence. Puis, au cinéma, on se cache facilement les yeux, mais on a moins le réflexe de se boucher les oreilles.

Aviez-vous des références en tête en travaillant sur ce film ?
Pour l’occasion, j’ai revu The Servant de Joseph Losey, Le Locataire de Roman Polanski ou encore It follows de David Robert Mitchell. Par ailleurs, j’adore Carpenter. Pourtant, je ne suis pas une fan de films d’horreur. Mais, j’aime les films de genre pour leur façon de prendre des figures rassurantes - poupée, clown, etc - et de les rendre inquiétantes, d’y instiller le doute. Evidemment, Hitchcock m’a aussi beaucoup marqué étant enfant et m’a forcément nourri. Je sais que mes références sont ambitieuses, mais je les revendique.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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