Le premier long métrage d’animation du réalisateur néerlandais Michael Dudok de Wit relate l’histoire d’une rencontre entre un naufragé et une tortue rouge sur une île déserte. (Marie Bouchet, ancienne étudiante de l’école Pivaut à Nantes, l’a épaulé comme chef assistant animateur sur ce film).
Pouvez-vous nous décrire les grandes lignes de votre parcours ?
J’ai étudié l’animation en Angleterre dans une école d’arts. J’y ai été diplômé en 1978, puis je suis parti à Barcelone car j’avais envie d’aller voir ailleurs. A cette époque, il n’y avait pas beaucoup de boulot donc j’ai survécu en travaillant pour de petits films d’animation. Au bout d’un moment, je suis revenu en Angleterre et j’ai fait la connaissance d’un couple qui m’a proposé de travailler ensemble car tous deux avaient aimé mon film de fin d’étude. J’ai alors réalisé beaucoup de films publicitaires. Les années 80 étaient une période fertile dans ce domaine. Les publicités étaient de vrais petits courts métrages. Pendant une quinzaine d’années, j’ai donc fait cela alors qu'en parallèle, je ne parvenais pas à trouver de financement pour faire mes propres courts métrages.
Comment êtes-vous devenu le cinéaste d’animation que l’on connaît alors ?
Finalement, je suis parti en résidence à Valence en France. Et, c’est peu après que mon premier court métrage Le Moine et le poisson a commencé à faire parler de lui. Le tout à un moment où je pensais quitter ce métier. Il s’agissait d’un projet poétique qui me tenait à cœur. Le film a gagné des prix (ndlr : dont le César du Meilleur court métrage en 1996) et m’a donné confiance. Le suivant, Père et fille, a exceptionnellement bien marché au point de devenir un classique (ndlr : Oscar du meilleur court métrage d’animation en 2000). Fin 2006, j’ai reçu un mail du prestigieux studio d’animation japonais Ghibli qui souhaitait collaborer avec moi sur mon prochain film. Alors que je n’avais jamais vraiment pensé à réaliser un long métrage, ils m’ont donné plusieurs mois pour écrire un scénario et La Tortue rouge est né. C’est un véritable honneur car c’est la première fois qu’ils travaillent avec un cinéaste d’animation extérieur à leur studio et a fortiori occidental.
Comment est née l’idée de ce scénario ?
J’aimais beaucoup le thème du naufrage sur une île déserte. Faire face à la solitude, à la nature, à l’insécurité. Tout le monde a entendu parler de Robinson Crusoé, c’est un thème archétypal qui m’intéressait mais je ne voulais pas le traiter comme tout le monde car c’est du vu et revu. Je voulais juste que ce soit le thème de départ de mon film et qu’il y ait du suspense. L’idée de faire face à la solitude, la faim, la soif et le danger est à mon avis très intéressante. Contrairement à Robinson Crusoé, mon personnage essaie d’ailleurs à plusieurs reprises de rentrer chez lui, il ne veut pas rester sur l’île ni la civiliser. D’autre part, je voulais qu’il y ait une créature marine, imposante et mystérieuse. Toutes les créatures de l’océan sont assez mystérieuses mais la tortue s’est imposée à moi. Je voulais un animal que l’on aime, paisible, solitaire sans qu’il soit trop mignon ou joli. De plus, elle semble être immortelle et possède un côté humain avec des pattes, des sortes de bras, une tête, et elle peut aller dans l’eau ou sur la terre. Le côté rouge était avant tout visuel. Enfin, je voulais aussi raconter la rencontre d’un homme et d’une femme de manière élégante.
Et qu’en est-il des petits crabes que l’on voit à l’écran tout au long du film ?
Il fallait quelque chose de plus léger. Ils jouent un rôle de divertissement, offrent des interludes. Mais ils sont également plus ou moins associés à la mort durant le film… C’est d’ailleurs un film qui traite de la mort. En fait, je trouve la mort très belle dans le sens où la vie est éphémère et que les choses changent. Il y quelque chose d’intéressant à explorer. Le film parle du cycle de la vie et il n’était pas question d’éluder la mort.
Etait-ce une volonté, dès le départ, de vous adresser à un large public ?
Tout à fait, je voulais que ce film puisse s’adresser à tout le monde. Je ne voulais pas qu’il y ait de restriction d’âge. Au départ, la production voulait davantage un film pour enfants. On a donc fait des compromis pour parvenir à un film compatible pour les plus jeunes comme pour les adultes. Même si certaines scènes peuvent paraître un peu dures et que les enfants ne comprennent pas forcément tout, il y a aussi un côté contemplatif, merveilleux… C’était une bonne surprise pour moi de constater que les enfants n’avaient pas la bougeotte devant mon film, ce qui aurait été le cas s’ils s’étaient ennuyés.
Pourquoi avoir décidé de réaliser un film d’animation muet ?
Au début, il y avait des paroles, des dialogues car je croyais authentiquement que le film en avait besoin pour le côté humain mais également explicatif. J’avais peur que sans cela, tout ne soit pas bien compréhensible. Mais j’avais des difficultés à les écrire et mes collaborateurs trouvaient ça bizarre. Nous avons travaillé dessus mais ça ne marchait pas donc, au fil du temps, nous avons réduit de plus en plus. Puis, finalement, ce sont les Japonais qui ont voulu que ce soit sans dialogue du tout en assumant leur décision. J’ai été étonné mais je leur ai fait confiance et j’ai vu cela comme un défi. A l’arrivée, je me rends compte que ça fonctionne très bien comme ça. Cela donne un côté mystérieux et intense.
Comment définiriez-vous votre style ?
Mon style graphique n’est pas radical, il est assez classique en fait. Mes dessins sont plutôt réalistes. Je ne suis pas dans le cartoon. D’ailleurs, dans La Tortue rouge, nous avons fait appel à des comédiens que nous avons filmés pour reproduire au mieux les mouvements des personnages. C’est assez ambitieux car subtil et complexe. C’est un vrai choix artistique. La simplicité est au cœur du projet de ce film malgré les détails. C’est ce que j’ai cherché. Même au niveau des couleurs, on ne retrouve pas toutes les nuances de l’arc-en-ciel comme dans le style californien. L’île est belle, c’est vrai, mais pas toujours; le temps se fait parfois gris, la pluie est présente, les animaux ne sont pas tous beaux non-plus.
Les Japonais vous ont-ils imposé des conditions stylistiques ?
Si c’est ce que vous voulez dire, il n’a jamais été question que je fasse dans le style japonais car ce n’est pas ma culture. Même si j’ai une attirance naturelle pour la leur : la beauté du vide, la simplicité, une nature magique, une admiration et un respect pour celle-ci. D’ailleurs, le film a été entièrement fait en France.
Quels sont vos modèles, vos influences ?
Concernant mes modèles, j’évoquerais Hergé, mais aussi Moebius, Guibert ou encore Sempé. Des dessinateurs qui vont vers le réalisme. En ce qui concerne La Tortue rouge, j’ai aussi regardé les films du studio Ghibli. Puis, la nature a été une grande source d’inspiration.
Propos recueillis par Mathieu Perrichet et Florine Le Moine
À travers l’histoire d’un naufragé sur une île déserte tropicale peuplée de tortues, de crabes et d’oiseaux, La Tortue rougeraconte les grandes étapes de la vie d’un être humain.