People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 13/06/2018

Rencontre avec Antoine Desrosières

Le réalisateur Antoine Desrosières et ses deux comédiennes, Souad Arsane et Inas Chanti, bien qu’un peu fatiguées, nous ont gratifié d’une conférence de presse sans chichi, aussi intéressante que légère et sympathique. 

Quel a été le point de départ de ce long métrage ?
Antoine Desrosières : Ce film s’inspire d’un témoignage écrit que j’ai découvert. Celui d’une jeune femme violée par un proche. Ce témoignage était dans la lignée des préoccupations de mon précédent film Haramiste. Dans ce dernier, j’essayais de comprendre comment les interdits peuvent attiser la frustration. Dans A genoux les gars, il s’agit cette fois de voir comment la frustration peut conduire à la violence.
Inas Chanti : Ce film est important car, aujourd’hui, lorsque l’on parle de viols, que les médias s’en font l’écho, c’est parce qu’il s’agit d’actes violents, qui se finissent dramatiquement. Or, dans la vie, la fille qui se fait violer connaît bien souvent son agresseur et les choses ne se finissent pas forcément tragiquement. Sauf qu’il s’agit bel et bien de violence. Mais comme ces femmes sont tellement manipulées, elles se sentent coupables et n’en parlent pas. C’est cette violence ordinaire, passée sous silence, que nous montrons dans A genoux les gars
Souad Arsane : J’ai une amie qui a vu le film et qui a trouvé cela compliqué à regarder. Ca l’a remuée. Mais c’est bien le but.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, malgré l’acte répréhensible et inexcusable des deux jeunes hommes dans le film, on conserve une certaine sympathie pour eux. Etait-ce voulu ?
Antoine Desrosières : Les garçons sont clairement des petits cons, atterrants, consternants. Mais l’idée était de comprendre l’enchaînement de circonstances qui les mènent à agir de la sorte pour mieux démonter ce mécanisme, qui semble anodin mais qui ne l’est absolument pas. Ce procédé fait que l’on n’excuse pas les personnages, mais on les déteste moins. 

Pour autant, vous avez choisi de traiter d’un tel sujet par le prisme de la comédie. Etait-ce un choix évident dès le départ ?
Inas Chanti : En fait, Antoine ne sait faire que de la comédie. C’est ça la vérité.
Antoine Desrosières : Et elles, elles veulent faire du drame, mais on ne les a jamais vu donc on ne sait pas ce que ça vaut… Pour être plus sérieux, je dirais que j’ai un penchant naturel pour la comédie en général. En outre, ce genre permet de mieux parler aux gens, et au public ado en particulier. Si on fait un drame sur ce sujet, il n’y a aucune chance que les jeunes aillent le voir. La comédie permet de casser l’armure, d’ouvrir une brèche dans le cerveau qui le rend plus perméable à ce que l’on veut raconter. Dans ce cas ci, cela me semblait vraiment être le format le plus adapté pour parler au plus grand nombre. Sans pour autant chercher à relativiser les faits. On a conscience de proposer un film singulier, bizarre. De créer une sorte de malaise en faisant rire sur quelque chose qui n’est pas drôle. Mais ce malaise permet de cueillir le spectateur. D’ailleurs, la comédie est souvent utilisée pour évoquer des sujets difficiles. 

Vous semblez attaché au fait que votre film ait une dimension pédagogique auprès des jeunes… 
Antoine Desrosières : Totalement. Le film doit servir d’outil pour faciliter et encourager la libération de la parole, dans le milieu scolaire notamment. Dans les classes, le travail sur l’éducation sexuelle n’est pas fait. Par manque de ressources bien souvent. Le film doit donc participer à combler ce vide. Je l’ai montré récemment à deux classes de terminale. Sur le coup, les élèves rigolaient, un peu gênés. Ils disaient qu’eux ne faisaient pas ça, ou n’en avaient pas connaissance… Mais quelques jours plus tard, ils m’ont envoyé un mail, dans lequel ils me disaient qu’ils avaient beaucoup parlé entre eux après la projection et ils m’ont raconté des choses qui m’ont fait frissonner. Aujourd’hui, on se rend compte que les gens s’emparent de nos films et c’est ce que l’on souhaite. On nous appelle encore pour venir animer des débats en rapport avec Haramiste. Inas est intervenue dans une école il y a quelques semaines. Quant à Souad, elle s’est rendue à une rencontre dans un bar à Nantes à l’occasion de la Marche des Fiertés. C’est génial. Je sais que c’est dur de faire un film. Mon précédent long métrage est sorti il y a 18 ans. Donc j’aime l’idée que lorsque j’en fais un, il serve à quelque chose.

A commencer par Souad Arsane et Inas Chanti, vous avez pu compter sur un casting assez fabuleux. Comment l’avez-vous constitué ?
Antoine Desrosières : Pourtant, qu’est ce je souffre avec elle, si vous saviez… Je me les traîne tous les jours, c’est vraiment pas facile… Je rigole. Mais il faut savoir qu’elles ne me sont pas tombées du ciel. Je les ai beaucoup cherchées avant de les faire jouer dans Haramistepuis A genoux les gars. Pour dénicher les cinq personnages du film, j’ai du voir en tout 1 900 jeunes. Ce qui est dix fois plus que pour un casting habituel. Pour moi, le critère le plus important était de trouver à la fois des acteurs et des co-scénaristes. Ils devaient donc témoigner de leur imagination, de leur originalité et de leur point de vue sur le sujet abordé par le film. Il devait faire preuve d’intelligence. 

Qu’est ce qui vous plait dans le fait de travailler avec des néo-comédiens ?
Antoine Desrosières : En fait, lorsque je fais un film, j’ai besoin que les comédiens aient du temps à m’accorder. Il est plus important pour moi d’avoir des acteurs qui ont le temps de faire le boulot comme je le conçois, que d’essayer d’en enrôler des connus qui enchaînent les films et ne peuvent pas se permettre de se poser durant des mois. J’ai besoin que mes comédiens travaillent en amont avec moi et soient pleinement disponibles.

Inas et Souad, comment en êtes-vous arrivées à faire du cinéma ?
Inas Chanti : En passant le casting pour Haramiste. En fait, avant cela, j’avais juste fait du théâtre au lycée pour grappiller quelques points au bac. Rien d’autre…
Souad Arsane : De mon côté, à la base, le cinéma était un monde qui m’était totalement étranger. Jamais je ne m’étais imaginée pouvoir faire ça. Encore maintenant, je suis surprise. En fait, je n’ai même pas cherché à passer de casting. Un jour, j’ai juste demandé du feu à quelqu’un qui s’est avéré être la directrice de casting de Haramisteet de A genoux les gars. Elle a alors commencé à me parler et j’ai d’abord cru qu’elle me draguait. Puis, elle m’a proposé de venir passer des essais pour un film. J’y suis allée et en sortant, je n’étais pas bien. Je croyais que j’avais tout raté, que j’étais trop nulle. Finalement, on m’a rappelé peu de temps après pour m’informer que le réalisateur voulait me rencontrer.
Antoine Desrosières : Je voulais vraiment constituer un duo de sœurs crédible. Nous avons trouvé Inas en premier. Elle était très drôle et elle amusait tout le monde. Avec tous ses partenaires, ça partait en fou rire. Puis, lorsque j’ai vu la vidéo du casting de Souad, je l’ai trouvé incroyablement bouleversante. Mais je me suis vraiment demandé comment ça allait pouvoir prendre entre elles deux. Finalement, leurs caractères se sont adaptés, la magie du cinéma a opéré et ça a parfaitement matché.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’écriture du scénario écrit à quatre paires de main (Souad Arsane, Inas Chanti, Anne Sophie Nanki et Antoine Desrosières) ?
Souad Arsane : Au départ, on avait juste le scénario de base, construit autour du témoignage écrit dont s’est inspiré Antoine. Ensuite, durant 4 mois, nous avons travaillé dessus, dont 2 mois durant lesquels nous avons passé en revue toutes les situations du film, en incarnant chacun notre tour l’ensemble des personnages dans des séquences d’impro filmées. Puis on a conservé tout ce qui nous semblait le mieux. C’est de la sorte que nous avons développé le synopsis qui est passé de 100 pages à 400. Au final nous avions 12 heures d’images que nous avons du condenser en 1h38. Ce qui est un peu frustrant. 
Antoine Desrosières : Néanmoins, nous allons en montrer davantage car pour continuer dans la veine du singulier, nous allons faire quelque chose d’inédit. Une pure expérience. Parallèlement à la sortie du film, à partir du 27 juin et jusqu’à décembre, nous allons diffuser une web série de 30 épisodes de 10 minutes sur YouTube. Elle fera découvrir l’univers et les personnages du long métrage aux jeunes, en allant directement à leur rencontre. Nous allons nous adresser à eux à travers leur smartphones et tablettes auxquels ils ont accros. Cette mise en lumière les incitera peut être à venir voir A genoux les garsau ciné. Nous souhaitons que le film et la série créent une synergie positive qui profite aux deux. 

Inas et Souad, cette expérience vous a t-elle donné envie de continuer à écrire ? 
Inas Chanti : Je ne sais pas. Pourquoi pas. 
Souad Arsane : Moi carrément. J’écris d’ailleurs en ce moment un scénario basé sur le livre de ma sœur Sarah, Lettre à mon frère

Parmi les originalités de votre film, la bande son à base de morceaux yéyé est également à relever…
Antoine Desrosières : J’ai choisi des morceaux yéyé d’avant la révolution sexuelles de mai 68 car l’idée était de faire un parallèle entre les interdits et désirs que chantaient les jeunes filles de l’époque et ce que vivent celles du film aujourd’hui. De quoi faire le triste constat que les choses n’ont pas beaucoup progressé. Par ailleurs, il s’agissait aussi de mettre une musique légère qui parle de choses graves. A l’instar du film. Ainsi, la musique donne l’impression de murmurer à l’oreille des personnages. Pour confectionner cette bande son, de la même façon que pour les acteurs. J’ai écouté des milliers de morceaux afin de trouver les pépites qu’il me fallait. Mais je n’ai pas pris de chansons trop connues.

Quels sont vos projets respectifs ? 
Antoine Desrosières : J’ai plein de projets dans les tiroirs. Et facilement 3 ou 4 que j’aimerais monter. Mais après, c’est aussi une question de financement pour qu’une film se fasse.
Souad Arsane : J’ai des projets pour un film d’animation, un court et un long métrage. Et donc le scénario tiré du livre de ma sœur que j’écris.
Inas Chanti : Moi je suis superstitieuse donc je préfère ne parler de rien.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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